Tout le monde a une histoire. La mienne je l’aime bien car elle est comme un roman que personne n’aurait osé écrire de peur que la fiction dépasse la réalité.
Aujourd’hui, lorsque je me présente aux visiteurs de ma cabane, je commence toujours par dire que je lis dans les gens. Sûrement parce que ça impressionne et c’est la raison pour laquelle les gens viennent me voir! Cela installe une écoute respectueuse qui maintient une distance physique me permettant de me sentir protégée.
Dans mes souvenirs, enfant, j’étais terrifiée lorsque les gens s’adressaient à moi parce que je n’existais pas comme eux. Ils expérimentaient la vie et moi je la lisais. Je n’avais rien à dire. Tout le monde est gentil et méchant, chacune des personnes que j’ai scannée a un passé et un futur très effrayant car le nature humaine est très variable selon sa fréquence. Etait-il possible que je sache que ces perceptions ressenties dans ma petite enfance viennent de mon imagination ou d’une réalité encore trop éloignée de la conscience collective ou étais-je effrayée par ce que je voyais n’en ayant jamais entendu parler avant ? Il m’arrivait souvent d’arrêter de respirer comme pour entrer dans un autre état de conscience et pouvoir survivre à une journée d’école, ça je m’en souviens.
Le monde m’agresse depuis toujours. Il doit exister en moi une polarité qui ne parvient pas à trancher: D’un côté de l’amour inconditionnel pour chacun des livres que je stocke dans ma bibliothèque intérieure; une compassion extrême pour l’horreur avec la résilience d’un ange et de l’autre de la terreur. Terreur, non pas de vivre et d’expérimenter, mais d’échanger, de frôler, de regarder les autres humains. Certains animaux aussi. C’est comme si lire en eux n’est pas compatible avec vivre avec eux.
On me demande comment je fais aujourd’hui. Je n’en sais rien. je fais au jour le jour avec ma fréquence du moment. Parfois j’y arrive d’autres fois non. Le ridicule ne tue pas disait ma mère et elle avait raison, ma honte finit toujours par passer même si elle laisse systématiquement une cicatrice.
Serait-il possible que mon âme ne soit pas adaptée à la taille de ma conscience? je me suis convaincue depuis de nombreuses années que ça devait être ma première fois sur terre, ce qui expliquerait mon attitude. On cherche toujours une case à remplir, on cherche à comprendre nos anomalies. Peut être que c’est tout simplement mon cerveau droit (en rapport étroit avec la logique)qui est tellement développé que le gauche (cognitif) n’a plus de place! C’est qu’à notre époque nous ne sommes pas encore des Hommes suffisamment évolués pour être à la fois un génie émotionnel et intellectuel. Si cette personne existe je me demande comment sont ses codes.
Pour moi, sans les codes du cerveau droit, impossible de répondre à la maitresse, impossible de ne pas m’effondrer si le ton monte, impossible de ne pas cligner des yeux si les gens marchent vers moi comme si la mise au point dysfonctionnait, impossible de retenir une seule information à l’école. Le monde va trop vite ou je suis trop lente et si la réponse provient de la majorité alors d’après ce que je lis en eux, je ne crois pas que ça les rendent très heureux. A cette époque j’aurais aimé que le temps s’arrête pour que je puisse exister un peu, au lieu de me lever à 5h du matin pour être seule et vivre à mon rythme.
Le pire et le meilleur se côtoient dans chaque histoire que je lis c’est sûrement cette habitude de lecture du monde qui m’a appris la compassion et la résilience. Enfance et adolescence humiliantes. Ce fût difficile mais nous sommes programmés pour survivre alors nous déployons des ressources incroyables pour obtenir un peu d’amour et de reconnaissance. J’ai fais de mon mieux pour être normale même si je n’étais pas à la hauteur de l’utilisation des codes qui permettent d’être heureuse, ne les connaissant pas car on nous inculque tout un programme comportemental qui pour moi ne collait pas avec mes compétences.
Je me suis souvent demandé pourquoi nous n’étions que quelques uns à ne pas avoir les facultés nécessaires pour être ce qu’il faut être. La honte est gravé sur notre corps entier, même pas besoin de les scanner ceux là, je les reconnais de loin. Je les aime bien parce que nos difficultés communes me fait me sentir normale.
A 15ans, ma bibliothèque est remplie d’histoires de gens que j’ai croisé et aimé. Dans chacun de ses livres, il n’y a que des formules en réalité. Je ne garde pas les histoires entières, je les convertis en codes. Il y en a toujours quatre qui donne un résultat de vie. Si un des codes changent, le résultat change. C’est mathématique! j’aime bien dire ça car ça fait intello! C’est un code que j’ai toujours souhaité avoir mais je ne compte que sur mes doigts alors j’en suis loin. Certains des résultats de ma bibliothèque me plaisent beaucoup : être populaire, être première de la classe, être en couple, être cool, être belle. Vous savez, le programme qu’on vous inculque !
Alors un été, avant d’entrer au lycée, je suis sortie en ville et toute l’après midi je me suis entrainée à Etre ce programme imposé en utilisant les formules de ma bibliothèque. A partir de ce jour et jusqu’à mes 28ans, je n’ai jamais cessé d’utiliser les formules des autres. Je me suis inventée une vie, plusieurs personnages et en quelques années, j’ai pu rattraper mon retard sur le programme.
J’ai tout réussi ou presque. Lorsque les chemins de traverse ne suffisaient pas pour obtenir quelque chose, je bloquais l’information d’échec avec succès et faisais comme si ça n’avait pas existé. Je continuais comme si de rien était, comme s’il était impossible d’échouer. Toujours en utilisant les codes imposés : j’ai choisi ce qu’on admire le plus, j’ai parlé et serré fort la main des hommes pour qu’ils me fassent une place dans leur monde bien plus grand que celui des femmes. Je voulais tout ce qu’il y avait de plus grand. Je voulais récupérer ces années ou ma différence m’avait ralentie.
J’ai gravi très vite les échelons du pouvoir et de l’argent sans diplôme en avançant masquée. J’ai construit une famille dans laquelle choisir le prénom de mes filles revenaient à concrétiser mes désirs de petite fille conditionnée. Déjà, Je savais quel prénom leur rendrait la vie facile, des codes sympas sans avoir besoin de faire d’effort. Je croyais très fort à ce programme du bonheur. Il n’y avait toujours pas de reconnaissance pour mes vraies compétences dans cette société et pourtant ce sont grâce à elles si ma réussite fût totale.
C’est un secret. Mon secret, cette vie réussie de fantôme. Et si j’ai eu quelques coups de chaud en imaginant deux personnes avec qui j’utilise des codes différents se rencontrer, tout s’est plutôt bien passé pendant cette période.
J’expérimentais la vie sur une route parallèle mais je n’avais jamais été aussi proche d’eux. Je me suis convaincue toute seule que j’étais parvenue à être comme eux, enfin. Nul besoin de psychiatre, d’équithérapie, d’orthophoniste ou de je ne sais quoi d’autre. Je me suis guérie toute seule. Vous avez vu? Je suis comme vous et j’ai même mieux que vous! Mais où suis-je dans tout ça?
Peut-être suis-je allé trop vite en besogne là? J’ai confondu comme beaucoup de monde la capacité à utiliser les codes des autres pour atteindre le bonheur…car la honte d’être soi-même est tenace et amène à développer des forces incroyables.
Plusieurs fois, j’ai souhaité dire à certains que leurs codes ne leur permettaient pas d’être heureux ni de concrétiser leurs rêves mais moi qui n’avait aucune légitimité on ne m’aurait pas écouté mais plutôt prise pour une illuminée.
C’est par un dimanche pluvieux que j’ai flanché, un après midi ordinaire où l’on attend avec des chips et la télévision allumée que la semaine reprenne.
Complètement épuisée, j’ai balancé à mon mari: “qu’est ce que je m’emmerde dans cette vie!”
Il m’a regardé choqué sûrement parce que nos filles jouaient au sol et que leurs oreilles avaient perçu mon ingratitude. Il m’a parlé de la mort, de ses morts et qu’il ne me comprenait pas. Il avait arrêté sa partie de billard pour me rappeler qu’on avait tout pour être heureux et il avait raison, j’avais fait la liste et on cochait toutes les cases du programme. Je suivais pourtant le programme niveau 5! Vous savez celui ou l’amour, la santé, le travail, l’argent, la famille, les amis, les voyages ne sont que les premières cases à cocher, celui où tout ceci se transforme en acquis familial et transgénérationnel pour que le nom brille et reste gravé.
Hélas, il a été gravé mais pas avec un code du programme 5. D’aucun programme d’ailleurs. En une fraction de seconde ledit programme m’a éjecté et renié.
C’est dans mon bureau que j’ai continué de penser à la mort ce lundi matin. Je me suis dit qu’il avait sûrement raison, que je devais me confronter à la mort pour reprendre gout à notre existence parfaite. J’ai cherché la formule pour modifier le cours de mon existence; j’en est trouvé deux. J’ai pris hélas la plus rapide. En voulant modifier le cours de ma vie, c’est le destin entier qui s’en est trouvé modifié.
Une semaine après, notre voiture a été percutée violemment et je suis morte, ou presque: on parle d’expérience de mort imminente. Mon âme n’avait plus de corps mais toujours une conscience. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai pu voir de quoi nous étions réellement fait et que dans ce plan il n’existe ni espace ni temps. Je n’ai pu y rester car je n’y étais pas la bienvenue. J’ai essayé de trouver un argument pour rester, tellement je me sentais libre d’être mais ce fût refusé. Le seul message qui m’a été transmi était qu’il fallait que j’arrête d’utiliser les codes des autres et que je fasse avec les miens.
Quand on vient de vivre un tel voyage, le retour à la vie parait fade. Avec le temps, je me suis guérie en modifiant mes codes et je suis devenue moi, vraiment moi…
Je n’ai pas tenue longtemps à cause du regard des autres, leur tristesse, leur désarroi, leur incompréhension, en découvrant mon authenticité. Ne plus me sentir autant aimé et reconnue qu’avant m’était insupportable.
Car même en reprenant la vie de mon entourage et leur programme, je ne pouvais plus prétendre au programme 5 (bonheur et succès) car désormais sans mari et sans fille ainée, morts lors de cet accident , je faisais désormais partie des victimes, des malheureux à vie.
Ce n’est qu’après quatre ans d’un programme spécial veuve que j’ai décidé que j’avais assez donné. L’ennui et le désespoir était si puissant devant tans d’incompréhension que j’avais l’impression que les horloges du monde entier étaient bloquées! j’avais pourtant souhaité que le temps ralentisse autrefois. Oui mais c’était quand j’étais moi, quand j’étais lente et que je respectais ma nature.
C’est donc l’ennui qui m’a décidé à expérimenter mes codes personnels. Il n’y avait plus aucune peur, plus rien qui pouvait me faire changer d’avis mais il y avait toujours cette honte alors je suis partie vivre très loin de chez moi, à dix mille kilomètres environ afin qu’on ne me voit pas, qu’on n’ait pas honte de moi et de mes réactions atypiques pour que puisse devenir moi.
Dans cette nouvelle existence, j’ai trouvé mon équilibre dans ce nouveau monde, grâce à mon entourage et famille reconstitués. Dans cette nouvelle vie j’ai reçu de la confiance, de l’amour, de l’aide, enfin on m’a aimé telle que je suis. J’ai découvert l’amour de moi, l’amour de l’autre, j’ai même découvert que mes compétences étaient appréciables.
J’ai du explorer le monde invisible et toutes les croyances pour trouver la mienne. C’est surtout en étudiant la neuroscience, la physique quantique, la théologie, la philosophie, la cosmologie et bien d’autres sciences que j’ai pu me sentir légitime d’exister et libre d’être. Mes capacités sont liées à un simple fonctionnement cérébral et mes visions sont la définition même de l’esprit quantique.
Pourquoi je suis comme ça? Est-ce qu’il y a d’autres personnes comme moi? Est-ce que je suis trop différente ?
Ces réponses ne m’intéressent plus car mon bonheur ne dépend que de moi à présent. J’utilise de temps en temps le programme 5 (bonheur et réussite!) pour partager ma vie avec les autres mais maintenant j’ose leur parler de leurs codes et des miens. Je mélange nos réalités et plus jamais je ne m’ennuie….ou presque.
Chloë